A Propos

Les œuvres d’Ahmet Başar sont des œuvres abstraites de grand format. Il produit son art généralement sur toile avec la technique mixte. À travers des formes ambiguës, l’artiste crée le type d’art qui offre à son public l’espace nécessaire aux rencontres et aux interprétations tout en l’incitant à jouer.

Né à Istanbul en 1971, il a étudié au Lycée de Galatasaray. Il a terminé ses études supérieures à l’Université des Beaux-Arts de Mimar Sinan. Il a participé à une variété d’expositions et d’événements artistiques à Istanbul au cours des 20 dernières années.

Son art a été exposé dans les “Expositions annuelles” de la Société turque de design graphique, la galerie d’art Hafriyat, la galerie d’art Piramid et l’exposition “Next Generation-Grafist” du Musée d’État de la peinture et de la sculpture. Il a inauguré son exposition personnelle “Collected Items” à Antik Cisterna en 2014.

Ayant son art présenté dans plusieurs collections privées, Ahmet Başar vit en France (Curçay-sur-Dive 86120), où il poursuit ses travaux.

Interview

Cette interview a été réalisée par Mlle. Zeynep Ozaltin en 2022 à Istanbul et fut publiée dans le magazine Sultani

A GAUCHE: Cité de Syrie. Suriye Pasaji — A DROITE: Avenue Istiklal. Istanbul

A GAUCHE: Cité de Syrie. Suriye Pasaji — A DROITE: Avenue Istiklal. Istanbul

Z. OZALTIN •  Merci pour l‘invitation et l’opportunité de mieux vous connaître. Qu‘est-ce qui distingue un artiste ? Qu’est-ce qui a nourri et tempéré votre art?

A. BASAR — Les premiers croquis datent de mon enfance, ce sont des gribouillages que j’ai faits dans mes années d’école primaire: des caricatures ; des organigrammes ; des histoires… J’ai toujours fait des dessins dès l’âge de deux ou trois ans… J’étais toujours bon avec les crayons..

Au lycée, je me suis trouvé en train de faire de fausses autorisations ; des magazines de classe ; des affiches pour des concerts organisés à l’école et. J’ai réalisé que je pouvais combler les petits besoins de la vie en dessinant. Et cela m’a créé, fait de moi ce que je suis.

La peinture est un outil pour jouer et exprimer. Je la rends visible, tangible et perceptible, je l’organise. La découverte de la matière ; la fabrication ; l’accrochage ; la présentation ; la transformation en autre chose, et la création d’une nouvelle occasion…

Toutes ces phases que j’ai repensées de toutes pièces par la pratique, parce que c’est un processus : ce ne sont pas des choses que j’ai faites et gardées pour moi, je les distribue. Elles font partie de moi, comme un album de famille, ce sont mes propres photos, elles sont moi; un peu de mon environnement, de mes expériences… Ce sont des choses qui me nourrissent. Les choses qui se passent au quotidien, les besoins, les gens, mes observations, ce que j’ai coupé et collé, dessiné ou peint ; une enseigne dans la rue, un sac de supermarché, un nuage en forme de mouton dans le ciel, les couleurs et le jeu du sens.

Z.O • Quelle place ont la musique et le graphisme dans ce jeu ?

A.B — Parce que j’aimais la musique, j’aimais les pochettes de disques, et parce que j’aimais les pochettes de disques, j’ai étudié le graphisme et j’ai gagné ma vie de cette façon.
En graphisme, il y a une problématique donnée, le temps et l’espace. Vous essayez de l’exprimer de la manière la plus courte, la plus compréhensible, la plus mémorable, la plus unique et la plus efficace possible. Il y a un point précis, un point de départ. On y apprend à affiner ou enrichir les mots, à utiliser l’espace, à l’ombrager, à le répartir, à le maximiser ou à le laisser vide, à être silencieux ou bruyant.
En peinture il y a certaines similitudes, mais il n’y a pas de notion de point de départ fixé de l’extérieur. Vous pouvez choisir vous-même l’origine, l’espace et le matériau.

Z.O • Aimeriez-vous parler de vos lieux de repos, d‘inspiration et de motivation qui vous aident à rester dans le domaine de l’art? Qu‘est-ce qui vous amène derrière la toile, dans l’atelier ?

A.B — Un seul mot: Métro. Je viens à mon studio le matin et travaille avec discipline. Même routine le lendemain… Je me sens toujours vivant et prêt à travailler car je ne suis ni épuisé ni distrait par la peinture. Si le repos signifie quelque chose comme une évasion ou un isolement, cela n’existe pas pour moi.
Parce que partout où je vais, je peins, à tout moment ; sur papier ou sans papier, dans l’avion, dans la voiture, dans lemétro… La peinture fait partie de moi. C’est pourquoi la pe inture n’a jamais été pour moi un travail fastidieux, où je devais faire une pause après. Je vis avec l’acte de peindre, il est toujours là.
Peindre n’est pas quelque chose que je fais par inspiration, peut-être devrais-je dire que c’est une raison plutôt qu’une inspiration… Parce qu’un événement social, quelque chose que je rencontre dans la rue, une relation humaine ou un article scientifique peut être à l’origine d’une peinture ou une idée. Au lieu de peindre mes pensées, je peins pendant que je pense.
C’est motivant de voir qu’on peut faire quelque chose.

Pouvoir le refaire, pouvoir le montrer, le diffuser…
L’inclure dans sa vie est motivant. Aussi, vous êtes admiré et apprécié, les gens aiment votre art… Matisse, par exemple, est une motivation pour moi. De beaux tableaux qui ont été peints avant… Ils les avaient peints, je peux le faire aussi, je peux faire mieux, c’est ma motivation. C’est la motivation qui vient de la compétition, du jeu.

Z.O • Votre atelier est situé dans le bâtiment historique de la Cité de Syrie sur l‘avenue Istiklal. Comment évaluez-vous votre emplacement en termes d’interaction avec votre art ? À quel point est-ce important pour vous d’être ici ?

A.B —Je suis arrivé sur l’avenue Istiklal à l’âge de 11 ans et je connais l’endroit de jour comme de nuit. C’est une partie naturelle de ce que je fais et j’ai l’impression d’en faire naturellement partie.
Ma maison, mon travail et mon école ont toujours été dans ce quartier. C’est mon quartier. Et la Cité de Syrie est l’un des plus beaux édifices anciens d’Istanbul.
Des gens très sympas y vivent, des voisins et des artistes. C’est un endroit où les gens qui sont impliqués dans les arts et l’artisanat sont en contact les uns avec les autres.
C’est aussi enrichissant d’un point de vue technique. A chaque fois que j’ai une question, j’obtiens une réponse : « il faut le laver comme ça », « si tu mets ça sur la peinture, ça va ternir », « tendons la toile comme ça »… C’est comme une école d’apprentissage constant. Ici je suis comme un enfant lâché sur la cour de récréation, j’ai tout sous la main, je ne me bats pas, je fais ce que je veux.

Z.O • Eh bien, les jouets et les compagnons de jeu sont là…

A.B — Bien sûr, c’est comme une enfance sans fin… Vous pouvez exercer votre droit de jouer aussi bêtement
que vous le souhaitez.

Z.O • Dans certains de vos tableaux, il y a une certaine forme d‘expression, découpée en carrés comme dans une bande dessinée, tandis que d’autres montrent un sens intense de fragmentation, de détachement, de décomposition et de dispersion. Qu‘aimeriez-vous dire sur les concepts d’intégration et de fragmentation ?

A.B —Oui, certaines de mes peintures ont un début, une progression et une fin. Tout comme dans une histoire, il y a un développement avec une introduction, une partie principale et une fin. Dans d’autres, je rends incompréhensible une accumulation de choses, une situation ou bien une forme.
Parfois je me soucie d’être compris, parfois non. Les peintures partent des quatre directions, certaines se développent en une histoire et d’autres se brisent en morceaux. L’un est dirigé vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur. C’est le reflet du temps que j’ai passé dans ce domaine. Ces circonstances émergent au fur et à mesure que les peintures émergent, non pas que je commence à dire : “Je devrais démonter ça aujourd’hui.”

Parfois, j’ai une idée sous la forme d’un croquis. Parfois, le croquis devient mon idée. Je travaille sur un thème, une phrase, un mot, une couleur, une chose que j’aime ou qui me dérange. De quoi s’agit-il, d’où vient-il, comment est-il dans d’autres langues et lieux, a-t-il déjà été fait ? Parfois, il devient une pelote de laine nouée, mais parfois il devient un fil démêlé. Je peins une pensée, une humeur.

Z.O • Alors, quels sont les principaux concepts qui vous font réfléchir ?

A.B —Solitude, foule, injustice, étrangeté, mouvement, incertitude, tristesse, joie…

Le Château de la Chèvre — Peinture acrylique sur toile. 90 x 70 x 3 cm. (2022) (Collection privée)

Z.O • Alors qu’est-ce que vous voulez rendre perceptible ?

A.B — Moi-même. C’est moi, je suis là et je peins. Je crie et montre : « Hé les gars, j’existe ! »

Z.O • L’art peut-il être décrit comme un moyen par lequel une personne peut entendre et être entendue pour exister ?

A.B — Oui bien sûr. Il s’agit aussi de sentiments et de pensées, mais vous existez en en parlant. C’est comme un enfant qui crie : “Maman, je suis là, donne-moi à manger !”

Z.O • Vos peintures sont des œuvres qui ne prescrivent pas de forme, qui sont ouvertes à l‘interprétation, aux similitudes et aux associations, voire les encouragent, comme une invitation à un jeu. L’art peut-il être un terrain de jeu ? Qu’aimeriez-vous en dire ?

A.B —La peinture est pour moi un terrain de jeu, ou un jeu pour Une ou plusieurs personnes, des jeux sur la table, dans la rue… C’est coloré, ça crie, ça se tait, ça se cache, tu gagnes, tu perds… Il y a toujours des jeux dans la vie et la peinture c’est la photographie de ce jeu.

Z.O • Une caractéristique de certains de vos tableaux est qu‘ils sont « désorientés ». Des peintures « rotatives » dont la composition et l’intégralité ne sont pas perturbées même si on les retourne… Tout comme regarder une carte, le centre ne change pas. Quel est le centre de vos peintures ?

A.B — Certaines de mes peintures sont orientées car elles contiennent certaines histoires et indices. Parce qu’elles ont des objets que vous pouvez repérer, comme une maison, un cercueil ou un bateau.
Vous commencez à partir de cet objet et l’histoire se déroule plus facilement si elle est basée sur celui-ci. D’autres n’ont pas d’orientation et peuvent être lus différemment des quatre côtés; il n’y a pas de point de départ.
Je peins mes tableaux comme si je regardais des champs depuis un avion et que je voyais la terre à vue d’oiseau. Dans d’autres, je regarde l’horizon entre les montagnes.
Avec mes collages, par contre, il y a un centre, et on les regarde comme on regarde des photographies ou des affiches. Je n’ai pas fait beaucoup de collages ces derniers temps car je voulais exprimer quelque chose de nouveau et étoffer le jeu. Je sentais que si je produisais une œuvre avec une orientation spécifique, il y aurait moins de chance de dire quelque chose de nouveau. Dans une œuvre non orientée ou multi orientée, vous créez quelque chose de nouveau où plusieurs histoires peuvent coexister. C’est très attrayant d’ouvrir un nouvelespace à d écouvrir pour le spectateur.
C’est un défi pour soi-même et un défi de la part des tableaux… Parce qu’un tableau que l’on met dans la rue doit être un défi et dire quelque chose de nouveau.

Z.O • Alors que se passerait-il s‘il n’y avait pas d’art ?

A.B — S’il n’y avait pas d’art, vous vous ennuieriez, vous manqueriez d’excitation et vous deviendrez gris. L’art est relaxant, comme une brise fraîche en été, ou bien, il est humide, effrayant et stimulant, comme une pluie soudaine. L’art est partout présent dans la vie, il suffit de le trouver. Ce que nous appelons l’art, c’est le courage, le besoin ou le désir de faire quelque chose de nouveau. Sans art, il n’y aurait pas de civilisation. L’art est ce qui
rend l’homme humain. L’art est un domaine où les vivants font sentir leur présence et expriment des choses, c’est donc la différence entre les vivants et les sans vie.

Geographika — Peinture acrylique sur toile. 120 x 100 x 4 cm. (2022) (Collection privée)